« Entrez dans la danse » de Jean Teulé

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Depuis le début d’année, le nouveau roman de Jean Teulé me faisait de l’œil. C’est d’ailleurs à l’occasion de sa promotion à la radio que j’avais découvert cet auteur qui m’intriguait. Après avoir lu trois de ses romans précédents (Mangez-le si vous voulez, Fleur de tonnerre et Le Magasin des suicides), il m’a semblé qu’il était temps pour moi de me procurer Entrez dans la danse. Les Éditions Julliard ont très gentiment accepté de m’en faire parvenir un exemplaire et je viens d’en terminer la lecture.

 

« Une étrange épidémie a eu lieu dernièrement
Et s’est répandue dans Strasbourg
De telle sorte que, dans leur folie,
Beaucoup se mirent à danser
Et ne cessèrent jour et nuit, pendant deux mois
Sans interruption,
Jusqu’à tomber inconscients.
Beaucoup sont morts.
Chronique alsacienne, 1519 »

Cet extrait de la Chronique de Strasbourg fait office de résumé en quatrième de couverture et contribue à ancrer ce récit dans la réalité (car il s’agit d’un fait divers historique et donc absolument pas fictif !). Bien entendu, même si Jean Teulé relate des faits historiques en s’appuyant sur une documentation sérieuse, le récit est tout de même romancé comme c’était déjà le cas dans Mangez-le si vous voulez et Fleur de tonnerre.
Entrez dans la danse est donc un roman dans lequel un évènement historique rencontre un brin de fiction, le tout formant un ensemble percutant et hautement sordide.

En cette année 1518, comme vous l’aurez compris, une véritable « manie dansante » a atteint des milliers d’habitants de Strasbourg issus de toutes les classes sociales. Jean Teulé nous présente dans un premier temps la patiente zéro : Enneline Troffea, qui rentre chez elle après être allée jeter son nouveau-né dans une rivière. En cette période de sécheresse impliquant une pénurie de vivres, son mari et elle ne pouvaient se résoudre à garder cet enfant, à l’instar de beaucoup d’autres couples de la ville. Un peu plus loin dans le récit, un homme et sa femme seront décrits en train de manger leur bébé qu’ils ont tué pour la même raison, et dont la tête en putréfaction trône sur la cheminée. Visions d’horreur et descriptions morbides sont à l’honneur une fois de plus dans ce nouvel ouvrage de Jean Teulé.

Si l’auteur a recours à ces détails dont certains d’entre vous se passeraient peut-être, c’est pour choquer, mais pas gratuitement, car il y a une morale bien palpable sous ce voyeurisme très gore. Les situations ainsi que les personnages dépeints dans le roman sont tous, sans exception et chacun à leur façon, une illustration de la misère régnant en maîtresse à cette époque. Si cette épidémie de danse a si subitement et pendant si longtemps (deux mois et demi !) hanté les rues et les foyers de Strasbourg, c’est sans doute parce que le peuple sous pression avait un besoin inconscient de « se lâcher », d’évacuer le malheur, la maladie, la mort, en dansant frénétiquement et souvent jusqu’à l’épuisement… ceci résultant en de nombreux décès. Ce besoin de lâcher prise, Jean Teulé l’évoque au chapitre 14 :

« Sans doute que pour ne pas se laisser envahir par la peine, inhibitions vaincues, ils retrouvent l’évasion d’une extase, leurs pensées fuyant le chagrin du deuil. Un niveau de détresse élevé leur fait perdre contact avec la réalité. »

Mais la satire de l’Église est de loin la plus saillante illustration de la misère dans ce récit qui pointe du doigt les outrages immoraux dont fit preuve la communauté religieuse au milieu de ce malheur. Alors que les Strasbourgeois mouraient de faim, mangeaient les excréments jetés par les fenêtres d’hôpitaux, buvaient l’eau des caniveaux et commettaient des actes atroces en conséquence de tout cela, le clergé (représenté par l’évêque dans le roman) dégustait de somptueux mets, buvait de l’eau la plus pure et bénéficiait d’une vie luxueuse en comparaison du reste de la population. Cette injustice est au cœur du roman.

Jean Teulé, comme à son habitude, utilise un langage qui lui est propre, un style bien à lui incluant un bon nombre d’anachronismes qui confèrent au récit une dimension presque comique. Cet usage important d’anachronismes accentue selon moi la décadence, l’instabilité, la folie de cet évènement sordide et incompréhensible. L’auteur fait parler les personnages en mettant dans leurs bouches des mots d’aujourd’hui — langage qui ne colle pas avec l’époque en question. Une manière de dire que le monde n’a pas tant changé que cela en 500 ans ? C’est en tout cas ce que Jean Teulé semble vouloir dire dans cette interview
Nous retrouvons également quelques petites illustrations comme souvent dans les romans historiques de l’auteur… C’est une caractéristique que j’affectionne particulièrement !

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En somme, Entrez dans la danse est un livre marquant qui ne vous laissera pas indifférent·e. Il s’agit à n’en pas douter d’un roman cru, vrai et surprenant qui retrace avec une bonne dose d’humour quelques mois d’horreur qui comptent parmi les plus stupéfiants de notre histoire.

Si vous avez aimé Mangez-le si vous voulez, je vous recommande franchement de ce roman et vous assure que vous ne serez pas déçu·e. Voici un lien qui vous permettra entre autres d’obtenir un extrait de ce dernier livre de Jean Teulé qui n’a pas fini de nous surprendre !



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